Young and Dangerous : jeunes et ambitieux, parfois vicieux

 

Six films, une préquelle, presque une dizaine de spin-offs, des parodies, etc. Young and Dangerous est une institution à Hong Kong. Réalisée par Andrew Lau, la saga dépeint l'ascension de trois jeunes membres de triade au sein de celle-ci. Entre bagarres de rue, affrontements politiques et histoires de cœur, elle présente tous les thèmes qui pouvaient plaire aux jeunes de la deuxième moitié des années 1990. Et ça vaut quoi au final ?

Andrew Lau est un habitué des films de triades. Avant de réaliser la trilogie Infernal Affairs (en compagnie de son protégé Alan Mak) qui lui offrira le succès et la reconnaissance à l'international, il n'était pas à son galop d'essai. Il réalisa To Live and Die in Tsimshatsui et Mean Street Story, respectivement en 1994 et 1995, le second étant sorti un an avant le premier Young and Dangerous.

Mais même avant ça, le film de gangster (et son sous-genre du film de triade) ne lui était pas inconnu, étant donné qu'il commença sa carrière en tant que directeur de la photographie et eut la chance de travailler sur des chefs-d'œuvre tels que City on Fire de Ringo Lam (1987) et As Tears Go By de Wong Kar-wai (1988).

Si ses premiers films (il en réalisa neuf en six ans avant Young and Dangerous !) sont pour la plupart des succès commerciaux (même s'ils n'atteignent pas les succès au box-office des grands films de l'époque), la sortie du premier film de la saga va tout changer et va lui permettre de devenir un réalisateur qui compte (le film réalisa à l'époque 21 millions de dollars HK de recette, soit plus de deux fois les recettes de son plus grand succès précédent, To Live and Die in Tsimshatsui, qui avait généré 9 millions de dollars HK).

Mais sinon, ça parle de quoi, Young and Dangerous ?

La saga Young and Dangerous est adaptée du manhua (bande dessinée chinoise) Teddy Boy, créé par Lun Yu-kwok et Man Kam-hung en 1992. Première BD de triade à sortir à Hong Kong, elle met en scène des affrontements au sabre entre membres de triades. Très violent, ce manhua, dont la production a duré jusqu'en 2020, était interdit aux moins de dix-huit ans et vendu sous sachet plastique.

Dans les films, on suit trois amis d'enfance, Chan Ho-nam (surnommé Nam), Chicken et Pou Pan, respectivement interprétés par Ekin Cheng, Jordan Chan et Jerry Lamb, qui, encore adolescents, vont rejoindre la triade Hung Hing après s'être fait tabasser par Ugly Kwan, un de ses membres (joué par Francis Ng).

Vlà la bande !

Chaque film de la série (qui comprend six opus et une préquelle) va voir les personnages principaux affronter des menaces internes et externes à la triade et grimper les échelons.

Voici très brièvement l'intrigue de chacun des films :

Young and Dangerous (1996) : Ugly Kwan (Francis Ng), voyant que Nam (Ekin Cheng) prend du galon dans la triade, fait tout pour le rallier à sa cause. Mais ce dernier refuse, Kwan utilise alors des moyens de pression assez crados pour essayer d'obtenir gain de cause et pour se venger du refus.

Simon Yam qui dirige le conseil d'administration

Young and Dangerous 2 (1996) : Nam est en concurrence avec Tai Fei (Anthony Wong) pour devenir le lieutenant de la triade responsable du quartier de Causeway Bay. Wong, fidèle aux rôles fanstasques qu'il a l'habitude de jouer, interprète un personnage sans limite et excessif qui pimente le film.

Young and Dangerous 3 (1996) : Crow (Roy Cheung), un membre de la triade rivale Tung Sing, tend un piège à Nam pour faire croire que ce dernier est coupable d'avoir assassiné le patron de Hung Hing (joué depuis le début par le génial Simon Yam). Pour couronner le tout, Crow assassine son propre patron et fait aussi passer ça pour un coup des Hung Hing.

Le grand, l'immense même, Anthony Wong

Young and Dangerous 4 (1997) : la place de lieutenant de Hung Hing responsable du quartier de Tuen Mun est libre. Chicken (Jordan Chan) ambitionne de prendre ce poste, mais se trouve en concurrence avec un autre membre de la triade, qui est manié en cachette par Thunder Tiger (Roy Cheung), qui appartient à la triade ennemie Tung Sing.

Young and Dangerous 5 (1998) : Big Head (Chin Ka-lok), un ancien de la triade qui sort de prison après avoir assumé un crime à la place d'un autre membre haut placé de la triade, essaie de se ranger. Mais constamment dérangé par les membres de Tung Sing, il n'a pas d'autre choix que de revenir à son passé de gangster. Nam rencontre Meiling (Shu Qi) et commence une relation avec elle. Il se retrouve mis à mal dans une fausse affaire commerciale montée par un membre de Tung Sing qui cherche à lui prendre Causeway Bay et par le gouverneur de Malaisie Chan Ka-nam (Paul Chun), employeur de Meiling. Big Head, boxeur à ses heures perdues, affronte un boxeur professionnel à la botte de Tung Sing, avec pour enjeu la possession de Causeway Bay.

Young and Dangerous: The Prequel (1998) : on suit l'entrée des personnages principaux dans la triade, ainsi que le début de leur ascension.

Born to Be King (2000) : le patron d'une triade de Taïwan arrange un mariage entre Chicken et la fille d'une famille de yakuza. Kusakari Akira (Roy Cheung), le fils adoptif du chef des yakuza, piège Chicken en faisant croire qu'il est le responsable d'un meurtre.

À noter qu'il existe une demi-douzaine de spin-offs centrés sur certains personages secondaires de la saga, une parodie (Once a Gangster de Felix Chong, sorti en 2010, qui parodie plusieurs films de triades, dont Young and Dangerous, les deux personages principaux étant d'ailleurs interprétés par Ekin Cheng et Jordan Chan) et un remake sorti en 2013.

C'est trop cool d'être cool !

Il va sans dire que la qualité des films s'amenuise à chaque nouvel opus, mais les trois premiers sont très bons et j'ai trouvé le dernier très difficile.

Pour renouveler la saga, Andrew Lau et le scénariste Manfred Wong (qui a également écrit les scénarios de Lonely Fifteen de David Lai (1982), Buddha's Palm de Taylor Wong (1982) et Duel to the Death de Ching Siu-tung (1983) entre autres, pour n'évoquer que les chefs-d'œuvre) ont très bien réussi à créer de nouvelles intrigues et de nouveaux dangers, qu'ils soient internes ou externes. Ils ont pour cela puisé dans de nombreux thèmes : pièges, jeux de pouvoir au sein de la triade, élection du chef, rivalité interne pour la possession d'un quartier, affrontement avec une triade rivale, infiltration par les rivaux, politique avec des groupes d'autres pays, rédemption, racket, escroqueries et arnaques liées à des business légaux, relations avec la police, etc. Grâce à ça, on s'ennuie rarement en regardant les sept films à la suite, et surtout on se prend d'affection pour les personnages.

L'une des grandes réussites de ces films est d'avoir réussi à me faire apprécier un réalisateur et des acteurs desquels j'avais une mauvaise image avant ça. Andrew Lau, le réalisateur, même s'il a co-réalisé l'excellente trilogie Infernal Affairs (que je revisionne toujours avec plaisir, même si à chaque fois que j'y repense j'ai une image et des couleurs ternes en tête), nous a offert les cadeaux empoisonnés que sont les très mauvais (et pourtant immenses succès commerciaux) The Storm Riders et A Man Called Hero en 1998 et 1999. Ekin Cheng joue dans ces deux films et on le trouve également dans l'horrible Heroic Duo de Benny Chan (2003). Quant à Jordan Chan, même s'il brille dans Bio Zombie de Wilson Yip (1998), on le retrouve dans le moyennasse Killer de Billy Chung en 2000, la comédie lourdingue Men Suddenly in Black de Pang Ho-cheung (2003) et dans le nul And Now You’re Dead de Corey Yuen, sorti en 1998.

Grâce aux Young and Dangerous, j'ai désormais beaucoup d'affection pour Jordan Chan, je tolère d'avoir Ekin Cheng dans le casting d'un film que je regarde et Andrew Lau a gagné mon respect.

Les acteurs principaux

Mais malgré ça, les films ne sont pas exempts de défauts. Comme je l'ai dit plus haut, les trois premiers sont les meilleurs. Ils profitent de la présence des géniaux Anthony Wong, Simon Yam et Francis Ng, qui sont pour moi trois des meilleurs acteurs du cinéma de Hong Kong post-rétrocession (à partir de 1997).

Francis Ng, avec plus de folie dans les yeux que jamais

Si vous avez été attentifs, vous aurez remarqué que Roy Cheung joue dans trois des films, à chaque fois des rôles différents. Je peux comprendre que peu d'acteurs savent faire le méchant comme lui, mais dans une saga qui prône la continuité, ça a du mal à passer, surtout que les bons acteurs qui savent jouer les gangsters ça ne manque pas à Hong Kong.

Roy Cheung, plus fourbe que jamais

Dans une moindre mesure, Shu Qi est victime du même mal : si dans le 5 et le 6 elle interprète le même personnage, dans la préquelle elle en joue un autre.

Shu Qi qui fait du Shu Qi

Les films de la saga restent également ancrés dans leur époque : les voir plus de vingt ans après ajoute une touche de décalage et de prise de hauteur de la part du spectateur lorsque l'on voit les looks et les coiffures des personnages et lorsque l'on entend les musiques. La fin des années 90 a loin d'été le top du bon goût musical et vestimentaire, ça saute aux yeux dans les films et, avec les années, ça leur ajoute du charme et surtout un côté amusant qui permet de se détacher du côté profondément violent de l'univers dans lequel ils se passent.

Au final, on ressent vraiment le côté adaptation à l'écran de bande dessinée. C'est moins grotesque qu'un Story of Ricky (Lam Nai-choi, 1992) et ça essaie d'être plus réaliste, mais grâce à ce côté BD, on peut profiter des films sans ressentir de gêne liée à l'immoralité de l'histoire racontée.

À l'instar du manhua dont ils s'inspirent, les films font la part belle à la violence. Ils ont même été accusés de rendre sympathiques les triades auprès des jeunes et donc de leur donner envie d'en faire partie, avec les héros cool, jeunes, habillés à la mode et surtout respectables qui y sont dépeints. L'autorité de censure cinématographique de Hong Kong est très stricte avec la représentation des triades au cinéma, et si la plupart des films de la saga ont réussi à y échapper, Young and Dangerous: The Prequel fait lui partie de la fameuse Category III, qui interdit le visionnage des films aux personnes de moins de dix-huit ans, ce qui est amusant lorsque l'on se rend compte que Nicholas Tse, qui y joue Nam adolescent, n'était pas encore majeur lors de la sortie du film et n'avait donc pas le droit de le voir. Il n'y a pas qu'à Hong Kong que Young and Dangerous a fait scandale : la version du premier film sortie en Malaisie a été remaniée pour faire en sorte que Nam, le personnage d'Ekin Cheng, soit en fait un flic infiltré. Le titre a même été changé et peut être traduit en The New Police Story: The Man in the Rivers and Lakes.

Pour ce qui est de l'importance de cette saga, je peux affirmer sans peine que sans Young and Dangerous il n'y aurait pas eu d'Infernal Affairs et peut-être que Johnnie To n'aurait pas sorti son diptyque Election en 2005 et 2006, ou du moins les films auraient sûrement été radicalement différents.

La saga Young and Dangerous n'est pas l'une des séries vers lesquelles je dirigerais les personnes qui souhaitent entrer dans le cinéma hongkongais ou qui veulent en approfondir leur appréhension. Mais si les films de gangsters et plus spécifiquement de triades vous plaisent et que vous avez déjà vu les grands classiques (la trilogie Infernal Affairs, le diptyque Election et la trilogie des tueurs à gages de Johnnie To (The MissionExiled et Vengeance), ainsi que les deux premiers A Better Tomorrow de John Woo entre autres), foncez !

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